Énoncé du problème

L’occupation du Nord du Mali par un groupe irrédentiste touarègue en 2012  a été un tournant important dans l’histoire du Sahel. Cette occupation a clairement démontré les changements décisifs dans l’équilibre des pouvoirs, causé par la chute de Kadhafi en 2011. Par la suite, divers mouvements Islamistes ont pris le pouvoir dans cette région ; ce que a précipité une intervention militaire internationale.

Les populations des éleveurs nomadisant occupent une position unique au Sahel. Ils ont leur habitat dans tout le Sahel avec 15 million de personnes. Ils se meuvent entre le Sahara et les savanes des pays côtiers et ont joué un rôle politique proéminent dans l’histoire du XVIIème au XIXème siècle. Ils ont toujours eu de rapports difficiles avec l’État, précoloniale et coloniale. Plus récemment, beaucoup parmi eux ont dû faire face à une marginalisation économique et politique progressive. Suite à l’occupation de leurs pâturages par une population sédentaire croissante dans leur propre région et les sécheresses des années 1970 et 1980, ils ont migré vers la Centrafrique, le Tchad, le Soudan et même vers le nord de la République Démocratique du Congo. D’autres ont cherché de nouvelles possibilités vers le sud dans les savanes des pays côtiers. Malgré leur présence partout dans la sous-région ils ne figurent guère dans les analyses politiques du Sahel et du CEDAO.

Bien qu’il y ait un grand nombre de rapports média sur la croissance du nombre des conflits intercommunautaires au Mali et au Nigeria, il y a peu de recherches systématisées sur les causes profondes de ces conflits et violence. Il manque aussi un regard systématique sur le niveau d’organisation politique des éleveurs nomadisant sahéliens. En ce moment, l’attention est surtout portée sur les groupes de terroristes violents. La recherche sur la base économique et politique de recrutement des terroristes est négligée à cause de l’urgence de la problématique sécuritaire.

Dans ce contexte, ce projet de recherche a l’objectif de faire le bilan sur la nature et les motivations de la mobilisation politique et des mouvements politiques des éleveurs sahéliens, pour mieux comprendre la potentialité de conflits futurs et pour faire une contribution aux nouvelles politiques en collaboration avec les gouvernements, la société civile et les ONGs. Étant donné que c’est la première fois depuis l’Indépendance que les éleveurs revoient leur position vis-à-vis l’État et réclament une position dans le paysage politique, plusieurs ont rejoints des groupes djihadistes, d’autres ont créé leurs propres mouvements. Par exemple au Nigeria, on a assisté à l’émergences d’un mouvement peul qui est responsable de 1,229 victimes en 2014. Au Sud du Tchad, une milice a été active de 2003-2012, sous la direction de Baaba Ladde (père de la brousse, nom réel Mahamat Abdul Kadre) qui voulait établir un terroir à part pour les Peuls. Au Mali, les Peuls ont organisé des milices locales d’auto-défense, et on a assisté à l’émergence de plusieurs groupes supposés djihadistes comme le Front de Libération Du Macina.

 

La mobilisation sociale sur la base d’ethnicité ou d’occupation économique n’a rien de nouveau. Pendant des décennies il y a eu beaucoup d’organisations sociales et de développement qui promouvaient la vie pastorale. Ce qui est nouveau, c’est que plusieurs de ces organisations sont devenues politiques et violentes. Une des raisons de cette évolution est la peur croissante pour leur sécurité, parce que des groupes d’éleveurs se trouvent entre deux menaces : celle des groupes musulmans militants et celle de l’État qui les soupçonne d’être complices avec ces groupes militants. Cette recherche se concentre sur ces nouvelles formes de mobilisation politique et ses conséquences pour la stabilité régionale.

Pour comprendre ces dynamiques nous considérons des facteurs historiques et contemporains :

  • Des éleveurs nomadisant étaient à la base des mouvements djihadistes qui ont bouleversé le Sahel pendant le XIXème siècle, et ont donné naissance aux nombreux califats et hiérarchies politiques qui ont été consolidés par l’État colonial et sont mis en jeu à nouveau dans le temps présent ;
  • Pendant les décennies passées, c’est surtout la partie nomadisant de la population qui a souffert énormément sous l’impact des sécheresses et la perte d’accès aux pâturages, menant aux conflits avec des populations sédentaires et à la discrimination par ces populations et par les agents de l’État. La violence récente au Mali, au Nord du Nigeria, au Tchad et en Centrafrique a mené à une détérioration progressive de ces rapports et les éleveurs sont perçus comme djihadistes. Ces stéréotypes ont des racines culturelles profondes et contribuent à la méfiance entre ces groupes de populations ;
  • Les éleveurs nomadisant avaient toujours des rapports tendus avec l’État postcolonial ;
  • Il y a un fossé grandissant entre les élites largement sédentarisées et les éleveurs mobiles en brousse. Ces derniers accusent leurs leaders de ne pas avoir suffisamment défendu leurs intérêts et de prendre parti pour l’État les populations sédentaires ;
  • L’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TICs) a profondément influencé les dynamiques de la mobilisation politique. Les TICs ont également changé les rapports avec le Diaspora, comme l’accès à internet est de plus en plus possible même pour des gens qui séjournent dans les zones éloignées. Une de ces tendances est une adhésion croissante aux associations politiques et culturelles ayant des racines peules, qui développent des idées plus articulées sur l’élevage nomadisant et la « Fulanité ». Ce discours atteint aussi des couches de la population qui n’étaient pas touchées auparavant. Certaines tendent vers une radicalisation de leur discours ethnique face à la marginalisation politique et la violence contre les Peuls ;
  • La perte de bétail et le blocage d’accès aux pâturages a beaucoup diminué la capacité de la société d’accommoder les jeunes hommes pour l’emploi productif et pour l’engagement positif dans leur société. Cette situation a poussé les jeunes hommes vers les mouvements djihadistes et autres groupes armés comme les Janjawid au Soudan, le commerce des armes et le trafic.