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Thursday evening is a preparation that Friday will come in a little while and Fridays are always special. Fridays are routine, but in between the routine there is room for wonder. Something, someone, or some thought at the horizon that outlives or makes one attentive of the mundane.
When I go to bed on Thursday nights I sleep in early, anticipating to wake-up at dawn. In the extreme morning, the acrid smell of burnt rubber hangs in the cold air and I whiff the synthetic odors that come with a grey-blue fume of little fires of plastic waste on the streets. On WhatsApp, my contacts announce the start of the day of congregational prayers in their statuses. TikTok video’s with angelic background voices merge with the soft voice of a men reading a sura or praise of jumu’a. Images of the sea rolling on the coastline, flowers, the ka’aba, and fantasy-like symbols with in its midst written Allah, are collaged into a slide show. At three in the morning a young man I met last March shares a series of video’s with an Imam preaching, du’a in a mix of French and Arabic, and a hot cup of coffee, which bittersweet taste I imagine on my tongue. All throughout the messages it says: Jumu’a Mubarrak – Have a blessed Friday.
Jumu’a resists definition. It does not simply signify a moment in the week. The word derives from the Arabic root ج م ع meaning “to gather” or “to assemble”. This indicates the social and religious importance of this day as one of togetherness. One where networks establish. Muslims in the old district Ridina communally perform the noon prayer. While it is business as usual on the adjacent market al-khala, the vibe is different in the neighboring blocks of Ridina. Shop owners prepare for a short day of work. They close their blue painted iron doors before noon, while the salaried rush to their local mosque for extended dhikr al-jumu’a (the remembrance of Allah) after the sunset prayers. Women in Chad do not go to the mosque. There are myriad small differences in how people come together, and that multiplicity of congregation is jumu’a too.
Seyda Fatime and her students, birds of a feather, first started keeping each other company in 2018. The ex-husband of Seyda Fatime encouraged her to organize weekly Friday meetings in the name of God. Since then, the women take turns in receiving the others at their homes for the litanies. The hosting member of the flock gets support from her in-living sisters, daughters, and cousins in the preparation of lunch and tidying a spacious guest room with carpets and pillows. I joined the banat al-jumu’a (the girls of jumu’a) as a researcher in February 2024, and have since seen old faces making place for new ones. The fluctuation in numbers and names makes the group dynamics somewhat shaky, yet full of spirit. The collective vibrates with a depth that a simple gendered label does not capture. A mix of silent and outspoken admirers, second cousins and neighbors, unwedded and just-wedded, nurses and market vendors, young and old, together walk the city and transform it.
It is in the mood and changeability of the group and the devotion to the non-physical that wonder lies. The unwrapping of the unusual arrives with large and small interlapses. Therewith the arrival of the unknown (Guyer 2013) reminds me of the importance of patience. A topic that Paul Stoller wrote about in his ethnographic studies with the Songhay in Niger (2023).
The women I spend time with are followers of Shaykh Ibrahim Niasse, a Senegalese scholar and saint who is known for his spiritual instructions and commentaries to the Qur’an and Islamic traditions across West- and Central Africa (Ogunnaike 2018, 29). Women often cite the Diwan, a collection of poems that Niasse composed. One of the books is his famous work Ruh al-Adab (The Spirit of Etiquette), which consists of metric advices for spiritual seekers (Wright 2018, 103). I was told that learning these advices provides women with the opportunity to routinize life according to pious virtues and prepare themselves for- and discover the secrets of Niasse, the unknown. To find this path, as Seyda Fatime said on multiple Fridays: “You have to come to jumu’a. You will go hand in hand with nour al-jumu’a (the light of jumu’a).”
Every week, from ten o’clock in the morning students trickle in at Seyda’s house, from where the group leaves together with a bus. I pack my bag for the day, my iPhone, notebook, camera, and recorder. Since Seyda Fatime asked me to take pictures during the Friday litanies, my iPhone and videos have become demanded objects. Seyda Noura and Aysha Brahim point out that my videos are clear, so after the sunset prayer we regularly exchange the material via the application Xender or WhatsApp. The subject of filming is Seyda, a woman in her late thirties of small stately stature with slender hands that either rest on her glittering robes or gesture vigorously. She is believed to have a powerful gift: an extraordinary voice which she uses to praise the prophet. When she opens her mouth the unremarkable chatter makes place for a mixture of awe and surprise. Women shared with me that Seyda overtake them with her voice, a voice they fell in love with.
It is in these weekly moments that Seyda Fatime, Seyda Noura, Aysha Brahim, and other participants formalize norms and mores around routine activities. The gatherings are also a possibility of wonder. Here and then, the gap between the expected and unexpected narrows and the aspiration for collaboration expands.
Jumu’a Mubarak
Le jeudi soir est une préparation à l’arrivée du vendredi dans peu de temps et les vendredis sont toujours spéciaux. Les vendredis sont routiniers, mais entre les deux, il y a de la place pour l’émerveillement. Quelque chose, quelqu’un ou une pensée à l’horizon qui survit ou rend attentif au quotidien.
Lorsque je me couche le jeudi soir, je fais la grasse matinée, anticipant le réveil à l’aube. Dans l’extrême matinée, l’odeur âcre du caoutchouc brûlé flotte dans l’air froid et je renifle les odeurs synthétiques qui accompagnent la fumée gris-bleu des petits feux de déchets plastiques dans les rues. Sur WhatsApp, mes contacts annoncent le début de la journée de prières dans leurs statuts. Des vidéos TikTok avec des voix angéliques en arrière-plan se mêlent à la voix douce d’un homme lisant une sourate ou une louange du jumu’a. Des images de la mer roulant sur le littoral, de fleurs, de la ka’aba et de symboles fantaisistes au milieu desquels est écrit Allah sont rassemblées dans un diaporama. À trois heures du matin, un jeune homme que j’ai rencontré en mars dernier partage une série de vidéos avec un imam prêchant, des du’a dans un mélange de français et d’arabe, et une tasse de café chaud, dont j’imagine le goût doux-amer sur ma langue. Tout au long des messages, il est écrit : « Jumu’a Mubarak » – Passez un vendredi béni.
Le jumu’a résiste aux définitions. Il ne s’agit pas simplement d’un moment de la semaine.Le mot dérive de la racine arabe ج م ع qui signifie « rassembler » ou « se rassembler ». Cela indique l’importance sociale et religieuse de ce jour, qui est un jour de rassemblement. C’est un jour où les réseaux s’établissent. Les musulmans du vieux quartier de Ridina font la prière de midi en commun.Alors que le marché adjacent al-khala fonctionne comme d’habitude, l’ambiance est différente dans les pâtés de maisons voisins de Ridina. Les commerçants se préparent à une courte journée de travail. Ils ferment leurs portes en fer peintes en bleu avant midi, tandis que les salariés se précipitent à la mosquée locale pour le dhikr al-jumu’a (le rappel d’Allah) après les prières du coucher du soleil. Au Tchad, les femmes ne vont pas à la mosquée. Il existe une myriade de petites différences dans la manière dont les gens se rassemblent, et cette multiplicité de congrégations est aussi le jumu’a.
Seyda Fatime et ses élèves, qui se ressemble s’assemble, ont commencé à se tenir compagnie pour la première fois en 2018. L’ex-mari de Seyda Fatime l’a encouragée à organiser des réunions hebdomadaires le vendredi au nom de Dieu. Depuis, les femmes reçoivent à tour de rôle les autres chez elles pour les litanies. L’hôte du troupeau reçoit l’aide de ses sœurs, filles et cousines pour préparer le déjeuner et ranger une chambre d’hôte spacieuse avec des tapis et des coussins. J’ai rejoint les banat al-jumu’a (les filles du jumu’a) en tant que chercheuse en février 2024, et j’ai depuis vu d’anciens visages faire place à de nouveaux.
La fluctuation des nombres et des noms rend la dynamique du groupe quelque peu bancale, mais pleine d’esprit. Le collectif vibre d’une profondeur qu’une simple étiquette sexuée ne peut saisir.Un mélange d’admirateurs silencieux et déclarés, de cousins germains et de voisins, de célibataires et de jeunes mariés, d’infirmières et de vendeurs du marché, de jeunes et de moins jeunes, arpentent ensemble la ville et la transforment.
C’est dans l’humeur et la versatilité du groupe, ainsi que dans la dévotion à ce qui n’est pas physique, que réside l’émerveillement. Le déballage de l’inhabituel arrive avec de grands et de petits intervalles. L’arrivée de l’inconnu (Guyer 2013) me rappelle l’importance de la patience. Un sujet sur lequel Paul Stoller a écrit dans ses études ethnographiques avec les Songhay au Niger (2023).
Les femmes avec lesquelles je passe du temps sont des disciples de Shaykh Ibrahim Niasse, un érudit et saint sénégalais connu pour ses instructions spirituelles et ses commentaires sur le Coran et les traditions islamiques en Afrique occidentale et centrale (Ogunnaike 2018, 29).
Les femmes citent souvent le Diwan, un recueil de poèmes composé par Niasse. L’un des livres est son célèbre ouvrage Ruh al-Adab (L’esprit de l’étiquette), qui consiste en des conseils métriques pour les chercheurs spirituels (Wright 2018, 103). On m’a dit que l’apprentissage de ces conseils donnait aux femmes l’occasion de routiniser leur vie selon des vertus pieuses et de se préparer à découvrir les secrets de Niasse, l’inconnu. Pour trouver ce chemin, comme l’a dit Seyda Fatime lors de plusieurs vendredis : « Il faut venir au jumu’a. Vous irez main dans la main avec nour al-jumu’a (la lumière du jumu’a) ».
Chaque semaine, à partir de dix heures du matin, les étudiants affluent chez Seyda, d’où le groupe part en bus. Je prépare mon sac pour la journée, mon iPhone, mon carnet de notes, mon appareil photo et mon enregistreur. Depuis que Seyda Fatime m’a demandé de prendre des photos pendant les litanies du vendredi, mon iPhone et mes vidéos sont devenus des objets demandés. Seyda Noura et Aysha Brahim me font remarquer que mes vidéos sont claires, alors après la prière du coucher du soleil, nous échangeons régulièrement le matériel via l’application Xender ou WhatsApp. Le sujet du tournage est Seyda, une femme d’une trentaine d’années, de petite stature imposante, aux mains fines qui se posent sur ses robes scintillantes ou qui font des gestes vigoureux. On lui prête un don puissant : une voix extraordinaire qu’elle utilise pour louer le prophète. Lorsqu’elle ouvre la bouche, le bavardage banal fait place à un mélange d’admiration et de surprise. Des femmes m’ont confié que Seyda les avait séduites par sa voix, une voix dont elles étaient tombées amoureuses.
C’est dans ces moments hebdomadaires que Seyda Fatime, Seyda Noura, Aysha Brahim et d’autres participantes formalisent les normes et les mœurs autour d’activités routinières. Les rencontres sont aussi une possibilité d’émerveillement. Ici et là, l’écart entre l’attendu et l’inattendu se réduit et l’aspiration à la collaboration s’élargit.