« Tous les Peuls du Mali central sont de potentiels djihadistes à défaut de l’être »

A la fin de la précédente communication, nous avions émis le souhait d’éclairer davantage cette vraie ou fausse collusion entre les Peuls et les djihadistes dans le centre du Mali principalement dans le Delta intérieur du fleuve Niger. Nous avions avancé l’idée selon laquelle que les soupçons fondés ou pas de complicité de la communauté peule d’avec les moudjahidines allaient au-delà des seuls éleveurs. Les élus locaux, les cadres, les agents d’ONG[1]et peut être même les chercheurs issus de la communauté sont tous traités de complices ou de personnes qui tirent les ficelles d’une manière ou d’une autre.

« Tout comme les éleveurs, les cadres peuls sont traités de djihadistes et tout comme les éleveurs, les cadres peuls sont aussi la cible des djihadistes »

Après une embuscade contre l’armée en juillet 2016 dans la commune de Diaka (cercle de Tenenkou), le président de la haute cour de justice (issu de la communauté peule) s’était rendu en Août 2016 à Tenenkou suite au décès de son frère aîné (conseiller communal de Tenenkou). Les fonctionnaires notamment des soldats (pour la plupart non peuls) basés à Tenenkou avec lesquels nous avions discuté de la situation sécuritaire nous parlaient d’une possible complicité des leaders peuls sur ce qui se passe dans le Delta. Selon certains d’entre eux, il n’est pas normal que quelqu’un du calibre du doyen de l’Assemblée nationale (chef d’une institution) vienne dans cette zone d’insécurité sans escorte militaire lourdement armé. « S’il séjourne ici et retourne à Bamako sans être inquiété, ce serait la confirmation de ce que je dis » soutenait un d’entre eux avec beaucoup d’amertume.

Le même arrivé sans problème à Tenenkou en octobre 2017 n’avait pas la même chance quand il avait emprunté le chemin de retour. Il était venu pour placer en ordre de bataille les candidats de son parti (RPM[2]) pour les élections municipales  prévues à l’époque pour le 7 décembre 2017[3]. Il avait miraculeusement échappé à un attentat le 30 octobre 2017. Au fait, son convoi de deux véhicules était tombé sur une embuscade. Les hommes armés (partisans du djihad) avaient tiré sur les deux véhicules et atteint mortellement un des chauffeurs. Il a fallu l’intervention d’un hélicoptère de l’armée malienne pour mettre fin à leur poursuite par les assaillants. Deux contingents dont l’un venu de Macina et l’autre de Tenenkou arrivèrent sur les lieux afin de les mettre en sécurité et les raccompagner à Tenenkou d’où ils venaient de partir le matin. Les assaillants disparurent non moins sans avoir incendié la voiture de luxe.

Le même sort attendait un autre cadre de la communauté peul dans le centre du pays. Arrivé dans la plus grande discrétion dans son village puis sur le gîte de son bétail ; il avait aussi échappé aux hommes de Koufa. Il, c’est le général à la retraite Ismaël Cissé[4]qui était parti voir son troupeau dans le cercle de Mopti au début de cette année. Il  avait de justesse échappé à un enlèvement ou à un éventuel assassinat de la part des moudjahidines. Ces derniers à bord des motos et armés jusqu’aux dents pointèrent sur les lieux quelques minutes après son départ.

Trois cadres peuls de Diafarabé partis pour le mariage de leur neveu en 2016 furent contraints de quitter la veille même de la célébration à cause de l’hostilité des djihadistes sur tout ce qui est fonctionnaire, intellectuel (formé à l’école occidentale) et célébration fastidieuse d’un mariage. Ils n’avaient pas totalement traversé le fleuve quand des hommes armés arrivèrent aux abords de leur domicile rapportait un témoin.

En mars 2016, un cadre peul d’une société de téléphonie mobile malienne en mission dans le centre avait eu la chance d’échapper aux moudjahidines encore dans le village de Diafarabé (son village). A bord de quatre motos et au nombre de huit lourdement armés, ils débarquèrent dans le loumordè (marché) puis dans la famille du cadre en question pour demander des nouvelles du véhicule qui était là aujourd’hui et de ses occupants. Une fois dehors, un attroupement spontané se fit autour d’eux. Un d’entre un eux prit la parole en ces termes : « tout le monde ici, doit savoir, que nous, moudjahidines, sommes contre l’identification des abonnés et gare à vous si vous vous faites identifier et à quiconque mettrait les pieds dans la zone pour de telles activités ».

Au vu de ces témoignages, nous comprenons facilement qu’il est très facile de passer de complice à cible et vice versa selon que nous soyons d’un bord ou de l’autre. L’insécurité a créé un sentiment de psychose généralisé chez les populations effritant ainsi la confiance des uns envers les autres. Et désormais, pour certains, ce sont tous les deltaïques qui sont complices des djihadistes et les Peuls plus que tous les autres. Ainsi, dans le centre du pays, pour un rien, on devient djihadiste ou leur complice. Les exemples que nous citerons ci-dessous aideront à élucider ce propos.

« Servir dans le centre du Mali, c’est être collaborateur des djihadistes »

Un agent d’ONGnous expliquait sa situation en ces termes « chaque fois que je reviens d’une mission de terrain[5], je suis approché par les porteurs d’uniforme pour me soutirer quelques informations sur la situation des djihadistes. J’ai toujours refusé de coopérer et ça les fait mal. J’ai enfin cessé de les fréquenter et de les recevoir en ce sens qu’ils nous (agents d’ONG) accusent d’être des collaborateurs de ces djihadistes.»

Il en est de même pour un agent de santé (chef de centre d’un centre de santé communautaire) opérant dans une commune occupée du centre. Il nous parlait de sa relation avec les militaires « j’ai un ami d’enfance parmi les éléments de la garde nationale. Quand je viens pour la foire hebdomadaire, il passe chez moi sur ordre de son supérieur hiérarchique pour avoir quelques informations. Ce que je refuse. Il me traite de djihadiste et de médecin des djihadistes. Ce qu’il ignore, quand je parle, je suis un homme mort parce que les djihadistes en question sont présents à toutes les foires et d’ailleurs même, nous les croisons dans le marché. Les éléments de la garde nationale et de la gendarmerie qui travaillent ensemble les jours de foire ne veulent même pas les arrêter. Car ils se contentent de prendre entre 1000F et 2000F avec ceux qui ont des motos sans vignette et ceux qui n’ont pas de carte d’identité ou de carte NINA[6]

En janvier 2018, un convoi de cinq véhicules 4X4 vint à Tenenkou. C’était une mission de supervision d’une grande ONG internationale dont la base venait de s’ouvrir un mois plus tôt dans le cercle. Les plus grands responsables au niveau régional étaient présents. Cette arrivée de ce grand boss (directeur-pays) était au centre de tous les débats, dans les grins, au marché, autour du thé et des tables de belote, et, même dans le camp. C’était pour tout le monde une confirmation de la collaboration entre les ONG et les djihadistes. Pour certains, la crise malienne résulterait d’un complot et pour d’autres, pour réussir leur mission, les ONG coopèrent avec les moudjahidines pour honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs généreux donateurs (bailleurs de fonds).

« Voyager sans avoir de problème dans le centre du Mali est synonyme de complicité avec les djihadistes »

Le préfet de Tenenkou qui de son arrivée en 2015 au 8 mai 2018 effectuait tous ses déplacements à bord de son véhicule de service est considéré à la fois par les populations tout comme par les éléments de l’armée comme un complice des djihadistes. A chacun de ses déplacements, il dit à son garde-corps de s’habiller en civil parce que selon lui, ce sont les militaires qui ont des problèmes avec les djihadistes et non les civils. Il voyagea tranquillement jusqu’au 8 Mai 2018 où il a été cueilli avec son chauffeur par les moudjahidines. Il est encore dans leurs mains afin « de l’apprendre l’essentiel sur l’islam » d’après un appel vocal daté du lendemain de son enlèvement (le 9-5-2018).

A leur tour, les transporteurs en commun furent qualifiés de complices de ces djihadistes parce que dans le cercle de Tenenkou, aucun de leurs véhicules n’a été victime d’un Engin Explosif Improvisé. Cela fait d’eux des complices parce qu’ils seraient informés des endroits à éviter sans quoi, ils auraient été au moins tombés dans un piège au moins une fois. Cependant, les convoyeurs sont à majorité peule mais les chauffeurs sont tous des non peuls. Malgré tout cela, ils sont considérés comme des complices passifs voire des collaborateurs. Pour un convoyeur avec lequel, nous avions parlé de la question : « les populations et en premier lieu les soldats sont tellement effrayés par les actes horribles que posent les djihadistes à leur encontre qu’ils voient en chacun de nous un djihadiste.» Hébété, il ajouta ceci : « disons-nous la vérité, les porteurs d’uniforme eux-mêmes empruntent nos véhicules et nos pinasses sans être arrêtés à moins qu’ils soient eux aussi des complices.»

Nous comprenons maintenant que cette histoire de complicité, de collaborateur avec ceci ou cela rythme le quotidien des habitants du delta qui ne cessent tout de même d’appeler à la paix et à la réconciliation des cœurs et des esprits des uns et des autres afin que le conflit prenne fin.

 

[1]Organisation Non Gouvernementale

[2]Rassemblement Pour le Mali (parti au pouvoir au Mali depuis septembre 2013)

[3]Elections municipales dans les circonscriptions qui n’avaient pas participé aux municipales de novembre 2016. Huit des dix communes du cercle de Tenenkou sont gérées par des maires élus en 2009.

[4]Premier et unique général peul de l’armée malienne de l’indépendance en 1960 à nos jours.

[5]Mission de la DAG (Distribution Alimentaire Gratuite)

[6]Numéro d’Identification Nationale