Le voyage à Gao : la ville de la résistance et de la résilience

Au mois de mars, j’ai effectué une mission d’évaluation qui m’a amené à Gao (du 25 Février au 01 Mars 2019), où je me suis entretenu avec plusieurs acteurs locaux.

Gao est une ville que je connais assez bien, car j’y ai séjourné un nombre incalculable de fois. Depuis le début de la crise au nord du Mali en 2012, j’y ai fait plusieurs séjours : en 2014, en 2017 et récemment en 2019.

A Gao, ville située à l’entrée du désert du Sahara, le sable est l’élément naturel incontournable. Les routes goudronnées se battent tous les jours, de peur de se faire engloutir par le sable. De même, la population de Gao se bat tous les jours pour ne pas tomber dans la résignation et le fatalisme, tant les défis sociaux, économiques et politiques sont énormes. Les habitants de la ville, très serviables et disponibles pour informer, dégagent une impression de calme et de sérénité qui contrastent bien avec le contexte d’insécurité et de turbulence dans lequel ils sont plongés depuis 2012.

J’ai eu des entretiens avec plusieurs personnes sur la situation d’insécurité qui perdurent. De tous ces contacts, une dame m’a fortement impressionné et m’a fait comprendre combien il est important de ne pas baisser les bras face à l’adversité.

C’est une femme responsable d’une organisation non gouvernementale (ONG) locale, pleine de courage et de détermination, que j’appelle “Madame Courage”. Bien que menacée, “Madame Courage” est restée dans la ville et a résisté durant tout le temps de l’occupation de Gao par les groupes armés et les mouvements djihadistes. Elle a porté secours au filles et femmes victimes de séquestrations, de viols collectifs/individuels et de toutes sortes de violences. Elle a pris son courage à deux mains pour témoigner sur les antennes des radios à portée internationale sur les violences basées sur le genre et pour appeler à la mobilisation pour soulager les victimes.

Aujourd’hui encore, “Madame Courage” continue avec détermination son combat pour les femmes victimes de violences basées sur le genre et de marginalisation économique. Elle leur apporte un appui psycho-social, médico-chirurgical et accompagne leur réinsertion socioéconomique. Dans ce combat de tous les jours, elle déplore le manque d’actions publiques durables de lutte contre les séquelles de l’occupation djihadiste et contre l’effet néfaste de l’insécurité actuelle sur les filles et les femmes.

Ces personnes représentent selon moi les figures de la résistance et de la résilience de la ville. Gao a souffert des groupes armées, Gao a été violentée par les mouvements djihadistes, Gao a été martyrisée par les aventuriers de toutes sortes ; mais Gao a tenu bon. Cette ville a courbé l’échine, tel un roseau qui se courbe pour laisser passer la bourrasque, mais elle s’est tout de suite redressée après pour constituer un haut lieu de la résistance des jeunes au Mali. 2

L’escale à Ouagadougou : discussions politico-sécuritaires

Conduisant moi-même ma voiture, j’ai voyagé de Bamako jusqu’à Niamey en mai 2019. J’ai dû traverser tout le Burkina sur une distance de 650 kilomètres, de la frontière Mali-Burkina (du côté de la ville malienne de Sikasso) à la frontière Burkina-Niger (du côté de la ville Burkinabé de Dori). Arrivé à Ouagadougou en fin d’après-midi, j’y ai passé la nuit chez un cousin avant de poursuivre ma route vers le Niger le lendemain matin.

Durant cette escale, toutes les conversations avec les burkinabés ont rapidement tourné autour des questions politico-sécuritaires. J’ai compris de ces échanges que l’insécurité est à son pic aussi bien à l’est qu’au nord-ouest du Burkina Faso. J’ai entendu beaucoup de burkinabés souhaiter le retour de Blaise Compaoré (l’ancien Président chassé du pouvoir à la suite d’une insurrection populaire) pour qu’il apporte à l’actuel régime politique ses conseils et son expertise (avérée ou supposée) en matière de sécurité. J’étais simplement abasourdi d’entendre ces propos et de constater que certains burkinabés disent que Blaise Compaoré était un bon Président, mais que c’est son mauvais entourage qui l’a desservi et terni son image aux yeux des populations du pays.

En fait, certains burkinabés déplorent tant la dégradation accélérée de la situation sécuritaire de leur pays depuis l’instauration du nouveau régime, qu’ils commencent à regretter le temps du régime de Blaise Compaoré, durant lequel le territoire burkinabé était épargné par les attaques multiples au Mali et au Niger, les pays voisins immédiats. Alors, ils se disent que l’ancien Président avait un secret (connexion à un réseau, carnet d’adresses, crédibilité) qu’il devrait faire profiter au régime actuel pour éviter au Burkina-Faso de tomber comme le Mali dans une crise sécuritaire accrue et chronique.

Seulement, je me demande si de telles idées et arguments résisteraient à une analyse poussée. Il me semble que ceux qui pensent ainsi ont oublié que le contexte sécuritaire est très dynamique et très volatile. De nouveaux acteurs émergent tout le temps, de nouvelles forces motrices des conflits et de l’insécurité se laissent voir et de nouveaux facteurs de crise sécuritaires se manifestent. Peut-être qu’à cause de cela, Blaise Compaoré est aujourd’hui dépassé par cette évolution rapide et dynamique du contexte sécuritaire sous-régional. Cette volatilité du contexte donne du fil à retordre même aux forces militaires et stratèges onusiens et européens engagés dans le Sahel.

Cela dit, en revenant au Mali et en traversant le Burkina Faso, je me suis rendu compte que la présence des forces de sécurité et de défense du Burkina Faso est plus visible sur le territoire malien. Les postes de contrôles y sont plus nombreux et le contrôle s’y fait plus fréquemment que sur le territoire malien. Sur les grands axes routiers, on a été plusieurs fois arrêté par les forces de sécurités afin qu’elles procèdent au contrôle des pièces d’identité (véhicules et personnes à bord) et aux fouilles des coffres de voitures. Mais il est connu que les auteurs d’actes terroristes utilisent très peu les grands axes routiers.

Le séjour à Niamey : la ville de la chaleur torride et la phobie sécuritaire

Après la ville de Dori au Burkina Faso, il faut faire environ 50 km pour atteindre la frontière du Niger. Arrivé là, il faut accomplir les formalités de police, de gendarmerie et de douanes des 2 pays. Une fois la frontière franchie, il faut parcourir 210 km de route pour arriver à Niamey, en passant par la localité de Téra.

Aux environs de Niamey, se dévoile une vue imprenable du fleuve Niger. Mais il faut dire ici que j’ai été choqué par la vue désolante du fleuve Niger que je sais splendide à Bamako, Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao.

En ce mois de mai, période on ne peut plus chaude de l’année dans le Sahel, le sable a repris ses droits sur le lit du fleuve. Les bancs de sable sont plus impressionnants que l’eau du fleuve comparable à des filets d’eau ruisselant péniblement. Ce spectacle devient encore plus désolant quand on entre à Niamey. Sur le pont qui traverse le fleuve, on ne peut que constater avec tristesse l’étendue de l’ensablement du lit de ce fleuve majestueux qu’est le Niger. On aurait tellement souhaité que ce soit dans le pays appelé Niger que le fleuve Niger y trouva toute sa majesté et sa splendeur. Mais hélas!

Mon séjour à Niamey (en mai 2019) m’a donné l’impression que le pouvoir politique en place a voulu faire de cette ville une place forte de sécurité, sanctuarisée. Les militaires sont en patrouille partout. J’y ai passé une semaine sous le regard permanent des forces de sécurité et de défense. Il m’a été impossible de passer une journée entière sans voir un véhicule pickup de l’armée, bourré de militaires armés, faisant la patrouille sur les axes routiers de la ville. Est -ce là une différence tactique ou alors est-ce un indicateur que le Niger prend plus au sérieux l’insécurité en essayant d’apporter une réponse militaire adéquate dans la ville de Niamey et ses alentours ?